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Le Mutin : 85 ans et toujours vaillant



« Trinquette dessous ». Le bosco surveille la voile qui passe le lit du vent. Le Mutin vient de virer de bord et remonte au près, toute la toile dehors vers le goulet de Brest. Debout devant la lourde barre franche, le commandant du dundee, le maître principal Fabien Gregory, savoure. « A 16-20 noeuds de vent, on peut envoyer toutes les voiles, et ça avance bien ». Ca avance bien, en effet, à bord du plus vieux bateau de la Marine nationale, voilier-école de l'Ecole navale.
Il ne les fait vraiment pas, ses 85 ans, le Mutin : foc, trinquette, grand- voile, flèche de grand-voile et tape-cul, 350 m2 de voilure, 33 mètres de long et la fière allure des thoniers vendéens d'avant-guerre. Ces dundees qui pêchaient dans le golfe de Gascogne et qui sortaient des chantiers des Sables d'Olonne. Le Mutin, lui, est sorti des chantiers Florimond-Guignardeau en mars 1927. « Il a un gréement traditionnel, mais il n'a jamais eu vocation à aller pêcher, il a été commandé par la marine », explique le pacha. Un peu comme ses deux « jeunes » consoeurs de l'Ecole Navale, 80 ans à peine, les goélettes Etoile et Belle-Poule, le Mutin est un de ces rudes voiliers sur lesquels les jeunes marins se sont frottés à la manoeuvre, à la dure : celle des drisses sans cabestan, des carrés où les bannettes s'empilent autour de la table et l'eau chaude n'est pas réellement au programme.

L'école des pilotes de la Marine

« Ah oui, c'était le pas grand luxe, mais qu'est-ce qu'on était bien là ». Sur le pont du Mutin, il y a Paul Schubel-Drévillon et Paul Raux. Paul Nord et Paul Sud. Les yeux bleus des marins, « ceux qui font rêver les filles », 80 ans à peine passés, le regard fixé sur le large et la main posée sur l'épaule des petits jeunes de l'Ecole des Mousses. « Mais, dis donc, ton noeud de chaise, là, tu es sûr que tu sais le faire d'une main ? Et cette tour avec du noir et jaune, ça raconte quoi ? » Les moussaillons sont impressionnés mais répondent à leurs anciens. « Et vous voulez devenir quoi ? Timoniers ? Et bien il va falloir faire comme nous à l'époque. Il va falloir apprendre les cartes ». Paul Nord et Paul Sud sont copains depuis toujours. Enfin surtout depuis l'école de pilotage de Saint Servan. Celle à laquelle a été affectée le Mutin dès son entrée en flotte à 1968. « On y entrait gamin, 17 ans, on apprenait un métier, celui de pilote et après on faisait carrière dans la Marine ». Pilote, celui qui connaît toutes les cartes, tous les relèvements, tous les alignements. Et qui souffraient, des heures, à faire le point d'étoile dans une furie de temps. « C'était là sur le pont du Mutin ». Paul Nord et Paul Sud rigolent encore en repensant à leurs soirées, à cette confrérie des pilotes qui, encore aujourd'hui, plus de 40 ans après la fin de la spécialité, est une des « familles » les plus dynamiques de la marine. Philippe Arzel est issu de la dernière promotion de l'école de pilotage. Il a commandé le Mutin et plus tard le Belem. Et, aujourd'hui, ça le démange. Il s'approche de la barre, le chef de quart a immédiatement compris. « Allez-y commandant », il s'éclipse avec un sourire. Le commandant Philippe reprend sa place, les réflexes reviennent vite, d'une voix de stentor, il consulte le bosco, « paré à virer ? on envoie ». La manoeuvre est belle, les voiles se gonflent, le vaillant petit Mutin est reparti sur un nouveau bord.

Les services secrets anglais à bord

Fabien, le pacha, regarde toutes ces générations de marins sur son bord. Il est heureux. « C'est sûr, c'est un petit bateau, mais je crois qu'il a fait beaucoup de choses dans sa vie. Il a su se rendre très utile ». Et c'est le moins qu'on puisse dire. Parce que le Mutin a eu une autre vie. Une vie de bâtiment militaire. En 1940, il a fait partie des rares bateaux ayant rallié Londres. Les Anglais lui trouvent rapidement une utilité. Après tout c'est un thonier, alors pourquoi ne pas l'envoyer sur son terrain naturel, le golfe de Gascogne. Remotorisé, le dundee part, pour la première fois de son existence, à la chasse au thon... Au milieu de la flottille vendéenne, il se fond dans le décor. Sauf qu'à son bord, il n'y a pas que des pêcheurs. Il y a les hommes des services secrets britanniques. Dans ses cales, il y a des thons. Mais des thons factices, conçus par le museum d'histoire naturelle de Londres pour y cacher des armes. Pendant plusieurs années, il va servir le renseignement et la résistance. Puis, il va s'aventurer jusqu'au Levant, on l'aurait même vu au Liban. « C'est une célébrité en Angleterre », sourit Patrice l'Hour, un de ses anciens commandants qui a raconté l'histoire du dundee dans un livre.
Après la guerre, retour à la barre franche et retour à l'école. Celle du pilotage d'abord, puis l'Ecole navale. « Nous embarquons régulièrement des élèves de toutes les écoles de la marine ». Pour qu'avant de manoeuvrer des diesel-alternateurs et des turbines à gaz, ces jeunes marins savent ce que signifie vraiment « trinquette dessous ». Le Mutin est reparti pour un joli bout de mer.

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